mieux que l’uniforme : l’élection pour tous et toutes, et la vie de classe

mieux que l’uniforme : l’élection pour tous et toutes, et la vie de classe

Elire ses représentants au Conseil de vie collégienne

Si, au lieu d’envisager le port de l’uniforme au collège, on décidait d’accorder à toutes les collégiennes et collé-
giens le droit d’élire leurs représentantes et représentants au conseil de vie collégienne en renonçant à ce que
leurs représentant(e)s puissent être désignés non par eux mais par l’établissement ?
Jean-Pierre Veran formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel
laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Le président de la République a fait du « réarmement civique » de la jeunesse un des axes de la politique éduca-
tive qu’il entend conduire. Port de l’uniforme, service national universel sont les premières pistes proposées.
On s’étonne que, dans son inégalable clairvoyance, le président ne se soit pas arrêté sur une question simple,
celle de l’élection par les collégiennes et collégiens du conseil de la vie collégienne (CVC). En effet, depuis que
le conseil de la vie collégienne a été expérimenté dès 2012 puis généralisé en 2016, sa composition est définie
par chaque collège, dont le conseil d’administration définit les modes d’élection ou de désignation de ses
membres. Ainsi donc, en 2024, on peut dans certains collèges priver les collégiens de l’apprentissage de
l’exercice d’un droit et d’une responsabilité : désigner leurs représentants qui pourront, selon l’article R. 421-
45-2 du Code de l’éducation, « formuler des propositions
1. sur les principes généraux de l’organisation de la scolarité, l’organisation du temps scolaire,
l’élaboration du projet d’établissement et du règlement intérieur, ainsi que sur les questions relatives aux
équipements, à la restauration et à l’internat?;
2. sur les modalités d’organisation du travail personnel et de l’accompagnement des élèves ainsi que sur
les échanges linguistiques et culturels en partenariat avec les établissements d’enseignement étrangers?;
3. sur les actions ayant pour objet d’améliorer le bien-être des élèves et le climat scolaire et de promouvoir
les pratiques participatives?;
4. sur la mise en œuvre des quatre parcours éducatifs
5. sur la formation des représentants des élèves.?
»
On imagine aisément ce que l’occasion d’une élection des membres du conseil de la vie collégienne peut
fournir comme temps fort de la formation civique des jeunes.
Une élection se prépare, les candidats doivent pouvoir proposer à leurs électeurs une profession de foi indi-
quant le sens qu’ils entendent donner à leur présence au sein du CVC. C’est donc l’occasion, en heure de vie de
classe, d’évoquer tous les domaines qui relèvent des avis du CVC : temps scolaire, règlement intérieur, équi-
pements, restauration, internat, climat scolaire, bien-être au collège, participation des élèves à la vie du collège,
parcours éducatifs, c’est bien du cadre de vie et de travail qu’il est question. Au cours de l’année scolaire, les
élu(e)s auront l’occasion de rendre compte de leur action au sein du CVC à celles et ceux qui les ont élu(e)s.
En donnant aux collégiens le droit et la responsabilité de désigner leurs représentants au CVC, on leur fait
éprouver le droit et la responsabilité du citoyen qui désigne ses représentants au conseil municipal ou départe-
mental ou à l’assemblée nationale. En les familiarisant avec la pratique du compte rendu de mandat, on leur fait
partager une expérience civique fondamentale : le vote à l’élection n’est pas un blanc-seing, on attend de
l’élu(e) qu’il ou elle tienne ses engagements pris devant ses électrices et électeurs et qu’il ou elle rende compte
de son action.

On apprend sans doute ainsi sur le fonctionnement de la démocratie des choses qui risquent de paraître pure-
ment théoriques dans un cours sur le suffrage universel. Et cela n’empêche pas, à l’occasion de la préparation
de l’élection, de réfléchir collectivement, en mathématiques et/ou en enseignement moral et civique, sur la dif-
férents types de suffrage : élection directe ou indirecte, scrutin majoritaire ou proportionnel, à un ou deux tours,
au plus fort reste ou à la plus forte moyenne, scrutin de Condorcet (selon lequel, si un choix est préféré à tout
autre par une majorité ou une autre, alors ce choix doit être élu)… on est alors en plein parcours citoyen.
Pourquoi priver des collégiennes et collégiens de cette possibilité, en acceptant que les membres du CVC
puissent être désignés et non élus dans leur établissement ? N’y aurait-il pas là meilleure occasion de forger
l’esprit citoyen qu’avec le port de l’uniforme ? Cela coûterait assurément moins cher aux collectivités et aux
familles, la citoyenneté ne s’en porterait que mieux et l’éducation à la démocratie s’en trouverait renforcée. Mais
le veut-on vraiment ?
https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/080224/rearmement-civique-mieux-que-l-uniforme-l-election-
pour-toutes-et-tous

Heure de vie de classe et harcèlement

Harcèlement scolaire : ne laisser rien dans l’ombre
Faire de la lutte contre le harcèlement une priorité éducative va de soi. Mais remettre en question la violence pédagogique systémique de notre organisation scolaire en faisant vivre la démocratie scolaire au lieu de la considérer comme un artifice inutile, est nécessaire pour ne pas renforcer les vulnérabilités des élèves.
Billet de blog 14 février 2024 Jean-Pierre Veran formateur, expert associé France Education International (CIEP),
membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

La quatrième ministre de l’Education nationale depuis juin 2022 a, lors de sa première sortie publique, mis l’accent sur la lutte contre le harcèlement scolaire. Elle s’inscrit ainsi dans la continuité de ses prédécesseurs qui, depuis des années, mobilisent l’école et ses acteurs dans la prévention, la détection et l’élimination du harcèlement scolaire. On citera simplement, pour mémoire le programme pHARe, plan global de prévention et de traitement des situations de harcèlement. Mis en place depuis 2021, généralisé aux écoles et collèges à la rentrée 2022, il est étendu aux lycées depuis la rentrée 2023[1].
On s’arrêtera d’abord sur un exemple parmi d’autres, celui d’un collège urbain, où les élèves eux-mêmes sont devenus acteurs informés et sensibilisés de la lutte contre le harcèlement. Les élus du conseil de vie collégienne (CVC) se sont saisis du thème de la lutte contre le harcèlement. Ils ont pris en charge l’organisation d’une heure de vie de classe sur ce thème, heure ouverte par le visionnement d’une vidéo à propos de laquelle ils ont préparé des questions pour lancer le débat. L’échange a été suivi d’un jeu de rôle sur le thème du harcèlement, auquel ont participé les élèves de chaque classe. A la suite de cette heure de vie de classe, un concours d’affiches pour lutter contre le harcèlement est lancé, les membres du CVC constituant le jury. Les quatre affiches choisies sont exposées en grand format sur les grilles du collège. Le CVC comme acteur déterminé de la mise en oeuvre du programme pHARe dans cet établissement, c’est la garantie d’une implication particulièrement forte des élèves eux-mêmes dans la lutte contre le harcèlement.
En quoi cet exemple peut-il être utile pour ne rien laisser dans l’ombre quand on veut faire reculer le harcèlement scolaire ?

Dans ce collège, les membres du conseil de vie collégienne sont élu(e)s et ont donc une légitimité démocratique plus forte que dans d’autres collèges où les membres du conseil sont désigné(e)s[2]. On ne doute pas, quand on voit les initiatives qu’elles et ils peuvent prendre, qu’elles et ils sont accompagné(e)s par un référent ou une référente vie collégienne qui veille à leur formation d’élus, et qu’elles et ils sont écouté(e)s, entendu(e)s et soutenu(e)s par la direction de l’établissement. Leur projet peut compter, jusque dans sa réalisation finale, sur l’appui de l’établissement.
Dans ce collège, les dix heures de vie de classe auxquelles ont au moins droit réglementairement les collégiens et lycéens sont pratiquées, et les élus collégiens peuvent proposer d’en prendre certaines en charge pour mobiliser leurs camarades.
Il y a donc là des enseignements à tirer pour tous les établissements scolaires : quelle place accordons-nous vraiment à la démocratie collégienne ou lycéenne, quel attention portons nous à la faire vivre au quotidien, en faisant des heures de vie de classe non pas un recours exceptionnel en cas de crise aiguë (auquel cas, elles arrivent trop tard), mais un moyen essentiel de régulation de la vie collective en classe ? Quel appui apportons-nous concrètement à la réalisation des projets collectifs des élèves ? Selon les réponses qu’on apportera à ces questions, on pourra se dire qu’on est attentif ou non au climat scolaire, à la vie démocratique et aux propositions des élèves, et que, selon les cas, on crée ou non des conditions propices à une mobilisation collective contre le harcèlement.
Si les heures de vie de classe sont effectivement des lieux d’expression où il s’agit d’écouter d’abord les élèves puis de
dialoguer avec eux en changeant ce qui peut être changé quand ils ont évoqué une difficulté, on a aussi plus de chances de faire émerger la souffrance scolaire du silence dans lequel elle est le plus souvent tenue. Cette souffrance a de multiples facteurs, externes pour certains à l’école, comme la précarité, le chômage, mais aussi internes. On pense bien sûr aux relations entre élèves, qui peuvent se traduire par du harcèlement, mais aussi aux relations entre les élèves et les personnels : discriminations, stigmatisations, comparaisons, sont des composantes de la violence pédagogique ordinaire.
S’interroge-t-on assez souvent sur le sens que peut avoir le fait de rester assis huit heures par jour, pour écouter en faisant silence la plupart du temps, temps marqué par des contrôles-surprises dont il est hors de question de discuter la note,de supporter le jugement des adultes et des pairs ? Dans son ouvrage L’attention portée aux vulnérabilités des élèves[3], Christophe Marsollier appelle à la plus grande vigilance sur ce point. Et il met en lumière le curriculum caché qui constitue la face invisible des apprentissage scolaires : s’inscrire dans un milieu contraignant, savoir bachoter, faire semblant, simuler, vivre dans la compétition instituée, crier en silence pour respecter la discipline imposée…
On touche là à la conception même de notre système de formation scolaire. Cette violence ordinaire et systémique :
c’est celle notamment de la notation, du classement en groupes de niveau, du redoublement, de l’orientation couperet qui décide de votre destin scolaire qui différera selon que vous êtes issu d’un milieu populaire ou favorisé.

On en revient alors à l’exemple de départ. Plus on porte d’attention et de considération aux élèves, notamment les plus fragiles, plus on ouvre des espaces de prise de parole et de décisions autonomes, plus on favorise l’action individuelle et collective, les apprentissages concrets de la vie démocratique, et moins on fait silence sur ce qui ne va pas, n’est pas acceptable, plus on a alors de chances d’ouvrir la possibilité à celles et ceux qui sont harcelé(e)s de pouvoir être entendus, et prendre leur part du combat contre le harcèlement scolaire, parce qu’elles et ils ne sont plus isolé(e)s mais partie prenante d’un collectif. Questionner chaque année les élèves sur le harcèlement est une excellente chose. Se questionner chaque année sur ce qu’on fait pour faire reculer la violence pédagogique ordinaire de notre organisation scolaire l’est également. Donner des cours d’empathie est sans doute utile. Pratiquer l’empathie dans le quotidien de l’établissement scolaire et de la classe l’est au moins tout autant.
[1] https://www.education.gouv.fr/non-au-harcelement/phare-un-programme-de-lutte-contre-le-harcelement-l-ecole-323435
[2] Voir notre dernier billet : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/080224/rearmement-civique-mieux-que-l-uniforme-l-election-pour-toutes-et-tous
[3] Voir le billet que nous lui avons consacré : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/090223/l-ecole-au-prisme-des-vulnerabilites-des-eleves
https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/140224/harcelement-scolaire-ne-laisser-rien-dans-l-ombre?utm_source=quotidienne-20240215-
200908&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20240215-
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jdescamps

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